
Terrorisme
LA BELGIQUE, LE TERRORISME, ABOU NIDAL et BELLIRAJ
La Belgique sert depuis longtemps de base arrière du terrorisme radical. Si une actualité relativement récente a révélé au grand jour cette situation – l’attentat contre le Commandant Massoud (2001), l’attentat du Musée juif de Belgique (2014) – les attentats de Paris (2015), ceux de Bruxelles (2016), les réseaux du djihad vers la Syrie, voire les attentats commis par Mohammed Merah à Toulouse (2012) avec le soutien de son mentor à Bruxelles – l’existence insoupçonnée du réseau Belliraj durant trois décennies, 1980, 1990 et 2000 démontre que les activistes pouvaient mener à bien leurs objectifs sans être trop inquiétés.
A cette époque, priorité était donnée au terrorisme interne : les Cellules Communistes Combattantes, les tueries du Brabant, l’affaire du groupe d’extrême droite WNP, le vol de documents de l’OTAN, avant de prendre la mesure de l’importance grandissante du terrorisme islamiste. De plus, la Sûreté de l’Etat a connu des périodes de crise au point de nécessiter la création de comités de contrôle parlementaire. Les rivalités entre les différents services de renseignements, de lutte antiterroriste, de police et de gendarmerie sont également à prendre en compte dans cette configuration.
« L’affaire Wybran » s’inscrit dans ce contexte. Le terrorisme Moyen-Oriental est dominé en Europe – en particulier en Belgique, par l’Organisation Fatah-Conseil Révolutionnaire d’Abou Nidal. Son organisation est alors responsable de plus de 120 attaques, tuant au total 300 personnes et en blessant 600 autres. Le centre de gravité de ses opérations se trouvait en Europe occidentale, mais le groupe terroriste a également frappé au Moyen-Orient, en Asie et en Amérique latine. Son groupe a commis d’innombrables meurtres, attentats à la bombe, détournements d’avions et prises d’otages. Les cibles n’étaient pas seulement les Israéliens et les Juifs, mais aussi et surtout les Palestiniens, les Arabes et les Occidentaux. L’organisation d’Abou Nidal a préféré assassiner des représentants modérés de l’OLP et des diplomates palestiniens cherchant à se rapprocher des interlocuteurs israéliens, infligeant ainsi de graves dommages à la cause qu’il prétendait servir.
Les gouvernements français, italien et belge ont choisi de négocier avec le mercenaire terroriste, dont l’objectif principal était d’extorquer des fonds substantiels pour son organisation.
Voici la chronologie partielle des attentats imputés ou imputables à Abou Nidal, concernant les institutions juives et israéliennes, y compris en Belgique ainsi que les principales étapes du parcours d’Abdelkader Belliraj, cerveau de la cellule terroriste active en Belgique.
Recension des attentats terroristes perpétrés par le Fatah – Conseil Révolutionnaire en lien avec Israël ou les communautés juives
· 1974 : en mars, Abou Nidal est expulsé de l’OLP et crée sa propre organisation, le Conseil révolutionnaire du Fatah (Fatah – FC) en octobre. Il est soutenu et largement financé par l’Irak, au détriment du Fatah de Yasser Arafat.
· 1978, 3 août : assassinat du représentant de l’OLP Ezzedine Kalak à Paris
· 1979, 13 novembre : tentative d’assassinat d’Ephraïm Eldar, Ambassadeur d’Israël au Portugal
· 1980, 3 mars : tentative d’assassinat du dirigeant communautaire juif Max Mazin à Madrid
· 1980, 28 juin : Saïd Al Nasser, membre du groupe Abu Nidal, entre en Belgique avec un passeport marocain, rejoint le 8 juillet par Wahid et le 20 juillet par un troisième terroriste.
· 1980, 25 juillet : tentative d’assassinat contre Yosef Halachi, attaché commercial à l’Ambassade d’Israël à Bruxelles
· 1980, 27 juillet : attentat à la grenade contre un bus d’enfants juifs, rue Lamorinière à Anvers (1 mort,16 blessés) et attentat manqué contre des passagers d’El Al à Zaventem le même jour. Arrestation de Saïd Al Nasser et d’un autre membre de la cellule en charge de l’attentat prévu à l’aéroport de Zaventem.
· 1981, 1er mai : assassinat à Vienne du Président de la Ligue d’amitié austro-israélienne, Heinz Nittel. Condamnation à perpétuité pour un des membres du commando.
· 1981, 1er juin : assassinat du représentant de l’OLP Naïm Khader à Bruxelles.
· 1981, août : deux attentats à l’explosif commis le 10 août, contre l’Ambassade d’Israël à Vienne et à Athènes et le 29 août, attaque contre une synagogue à Vienne. Arrestation de Hesham Rajeh membre du Fatah-CR.
· 1981, 15 décembre : la cour d’assises d’Anvers condamne Saïd Al Nasser à la réclusion à perpétuité. Son complice, en charge de l’opération manquée à Zaventem est condamné à 5 ans de réclusion.
· 1982, 3 juin : tentative d’assassinat de Shlomo Argov, Ambassadeur d’Israël à Londres. Il passe trois mois dans le coma puis revient à la vie. Trois personnes sont condamnées à de lourdes peines de prison. Les terroristes prévoyaient en outre des attentats contre des institutions juives et israéliennes à Londres.
· 1982, 9 août : attentat du groupe Abu Nidal contre le restaurant de Jo Goldenberg, rue des Rosiers à Paris (6 tués, 22 blessés). L’ancien chef des Renseignements français, Yves Bonnet a admis 38 ans après les faits avoir mené de longues négociations pour obtenir la paix sur le territoire national en échange de l’impunité des membres de l’organisation Fatah-CR.
· 1982, 18 septembre : attentat contre la Grande synagogue de Bruxelles, 4 blessés. Non revendiqué.
· 1982, 23 septembre : à Malte tentative d’enlèvement de la chargée d’Affaires de l’Ambassade d’Israël.
· 1982, 9 octobre : attaque contre la Grande synagogue de Rome perpétrée par un commando de 5 terroristes (1 enfant de 2 ans tué et 37 blessés).
· 1983, 28 mars : à Vienne, une tentative d’assassinat du Chancelier Bruno Kreisky est déjouée à temps.
· 1984 : la France signe un accord secret avec le groupe Abou Nidal
· 1985, 27 juillet : prise d’otage de la famille franco-belge Houtekins-Kets, soit 8 personnes au total, à bord du yacht le Silco, à proximité des côtes de Gaza et convoyés en Lybie. Abou Nidal affirme sa responsabilité dans l’enlèvement en novembre 1987. La France et la Belgique vont négocier leur libération.
· 1985, 27 décembre : à quelques minutes d’intervalle, deux attentats sont menés de front contre les passagers d’El Al à l’aéroport de Rome (16 tués, 99 blessés) et contre les passagers à destination d’Israël à l’aéroport de Vienne (2 tués, 39 blessés)
· 1986, février : les assassins d’Ezzedine Kalak, représentant de l’OLP à Paris, sont libérés par la France, toujours dans le cadre des accords secrets.
· 1986, 14-15 avril : les forces aériennes américaines et britanniques bombardent des bases terroristes en Libye. Depuis son expulsion de Syrie en 1985, Abou Nidal a été accueilli en Lybie et Kadhafi est devenu son principal bailleur de fonds. Par mesure de rétorsion aux bombardements, Abou Nidal fait exécuter le 17 avril un journaliste britannique, deux enseignants, un Américain et enlever un autre journaliste britannique qui sera pendu quelques années plus tard.
· 1986, 5 septembre : détournement du vol 73 de la Pan Am à Karachi où il faisait escale par 4 terroristes du Fatah-CR. (20 victimes et 120 blessés).
· 1986, 2 octobre : à Londres 6 membres du Fatah – CR sont arrêtés pour avoir planifié un attentat contre l’Ambassadeur d’Israël
· 1987, 8 novembre : conférence de presse de Walid Khaled, porte-parole du groupe Abou Nidal, dans laquelle cette organisation revendique la prise d’otage de l’équipage du Silco.
· 1988 : Belliraj recrute les membres de sa cellule djihadiste à Bruxelles et commence à travailler pour le groupe Abou Nidal
· 1988, 21 mai : enlèvement et prise d’otage de Jan Cools au Liban par le groupe Abu Nidal
· 1988, 23 juillet : attentat contre Raoul Schouppe à Bruxelles par Belliraj
· 1988, 17 août : assassinat de Marcel Bille à Kasteelbrakel, par Belliraj
· 1988, 25 octobre : assassinat par le groupe Abou Nidal d’un diplomate saoudien à Ankara
· 1988, 18 décembre : enlèvement de Jan Cools revendiqué par les Soldats du Droit (émanation de l’organisation Fatah-CR). Il est libéré le15 juin 1989, après des négociations complexes entre la Belgique et la Libye.
· 1988, 21 décembre : attentat de Lockerbie, fomenté par des agents libyens, avec l’aide du Fatah-CR. Kadhafi reconnaîtra en 2003 avoir commandité cet attentat (270 morts).
· 1988, 27 décembre : assassinat par le groupe Les Soldats du Droit d’un diplomate saoudien à Karachi.
· 1988, 29 décembre : libération des deux premiers otages du Silco (Marie Laure et Virginie, les filles de Fernand Houtekins et Jacqueline Valente)
· 1989, 4 janvier : assassinat par le groupe Abou Nidal d’un diplomate saoudien à Bangkok
· 1989, 14 février : en Iran l’ayatollah Khomeiny émet une fatwa contre Salman Rushdie
· 1989, 29 mars : assassinat du recteur de la Grande mosquée de Bruxelles, Abdullah Al Adhal et de Salem Bahri, son assistant. Revendiqués par Les Soldats du Droit, deux jours plus tard.
· 1989, 20 juin : attentat contre Samir Gahelrasoul, homme à tout faire de l’Ambassade d’Arabie Saoudite à Bruxelles. Revendiqué deux jours plus tard par une autre organisation écran d’Abou Nidal, le Peuple libre de la péninsule arabique.
· 1989, 3 octobre : assassinat du Docteur Joseph Wybran, revendiqué deux jours plus tard par Les Soldats du Droit. Le vendredi 6 octobre se déroulent les funérailles de Joseph Wybran à Kraainem.
· 1989, 11 décembre : le quotidien israélien Jerusalem Post, révèle que le meurtre de Wybran a été commis par le groupe Abou Nidal « selon des sources bien informées ».
· 1991, 14 janvier : assassinat à Tunis du chef du renseignement de l’OLP Abou Iyad et de deux autres hauts responsables.
· 1993, arrestation à Washington de 4 membres du Fatah-CR accusés de fomenter des attentats terroristes contre l’Ambassade d’Israël et des personnalités de la communauté juive.
· 1994, 13 septembre : arrestation à Bonn d’une cellule de six personnes suspectées d’appartenir au Fatah-CR et de perpétrer l’assassinat du Président des communautés juives d’Allemagne, Ignatz Bubis, et des attentats contre une synagogue de Berlin et l’Ambassade d’Israël.
· 2001, fin août – début septembre, Belliraj se rend en Afghanistan via le Pakistan. Il y rencontre Ben Laden et ses deux principaux lieutenants qui lui confient la mission de trouver des fonds et de recruter en Belgique des spécialistes en armes chimiques
· 2001, 9 septembre : assassinat du commandant Massoud en Afghanistan commandité par Al Quaïda. Les deux auteurs ont bénéficié de faux passeports belges.
· 2001, 11 septembre : attentats d’Al Quaïda contre les tours du World Trade Center à New York et le Pentagone à Washington.
· 2002, août : Abou Nidal est tué par balles à Bagdad, en Irak, dans des circonstances non encore élucidées. Il avait été banni de Libye en 1999, était retourné à Beyrouth puis en Irak en 2002.
BELLIRAJ, ITINERAIRE D’UN TERRORISTE
L’aperçu chronologique ci-dessous est fondé sur de nombreuses sources différentes mais principalement sur les interrogatoires menés par la police marocaine et le juge d’instruction Chentoufi, résumés dans un rapport de 58 pages, traduit en français par un traducteur assermenté.
LES DEBUTS
Abdelkader Belliraj est né au Maroc, dans la région de Nador, en 1957 dans une famille de six enfants. Il a été élevé dans la religion et fréquentait l’école coranique.
En octobre 1971, à l’âge de 14 ans, il gagne la Belgique. Il est scolarisé dans différents établissements et termine en 1980 des études d’électricité industrielle à Saint-Luc à Mons.
À partir de 1979, Belliraj devient un musulman pratiquant. Il fréquente assidûment la mosquée Al-Khalil de Molenbeek et Al-Muwahidin de Laeken.
Belliraj travaille pendant cinq ans aux Forges de Clabecq, puis à Bruxelles, au service d’études du syndicat chrétien CSC, où il a réalisé des études sur les migrations en provenance d’Afrique du Nord.
En 1980, Belliraj rencontre le fondateur du Mouvement Islamique Révolutionnaire Marocain, un mouvement chiite. La réunion a lieu à l’Ambassade d’Iran à Bruxelles. Il prône un changement de régime au Maroc inspiré de l’expérience iranienne.
Cette même année, Belliraj célèbre à Téhéran le premier anniversaire de la révolution islamique. L’ambassade d’Iran a pris en charge les frais du voyage. Il a assisté à deux semaines de séminaires sur la révolution iranienne dans un hôtel.
1981 : Belliraj commence à travailler pour l’Ecole de l’Unité Arabe (EUA) à Bruxelles.
En 1983, Belliraj est au Liban, aux frais du Mouvement démocratique Algérien (MDA) où il reçoit d’un Palestinien des cours théoriques sur les armes à feu et une formation paramilitaire.
Dans les années 1980, les contacts entre la DGED marocaine (Direction Générale des Etudes et de la Documentation, un service officiel de renseignements) et la Sûreté de l’État se sont intensifiés. C’est précisément au cours de cette période de bonne coopération entre la Belgique et le Maroc que Belliraj entre en scène. Il était connu de la Sûreté de l’État depuis le début des années 1980 en tant qu’islamiste extrémiste et opposant pro-iranien au roi du Maroc. D’autre part, selon Belliraj, la DGED marocaine a essayé de le recruter dans les années 1980 pour espionner la communauté marocaine.
Belliraj a été observé en 1986, 1988, 1990, 1993 et 1999 en raison de son profil chiite.
En 1987, Belliraj s’entraîne dans un club de tir à Bruxelles.
A LA SOLDE D’ABOU NIDAL
À la fin des années 1980, il a commencé à recruter des personnes dans le milieu des étudiants marocains à Bruxelles. Ils étaient convaincus de la nécessité d’une action djihadiste au Maroc.
En 1988, Belliraj s’installe en Algérie attiré par le succès du Front Islamique du Salut (FIS). Là, il est entré en contact avec Abou Ali représentant de l’organisation terroriste Abou Nidal. L’une de ses tâches consistait à recueillir des informations sur les personnalités saoudiennes en Belgique.
Belliraj apparaît à plusieurs reprises dans les rapports de police : en 1986 pour coups et blessures volontaires et fraude au sein du syndicat de la CSC, en 1987 pour abus de confiance et pour des soupçons de trafic d’armes, de faux passeports et « d’appartenance à une organisation radicale ».
21 mai 1988: enlèvement et prise d’otage de Jan Cools au Liban par le groupe Abu Nidal qui les revendique le 18 décembre de la même année.
23 juillet 1988 : Raoul Schouppe est abattu derrière le comptoir de son herboristerie rue de Mérode, près de la gare du Midi. De fausses rumeurs dans la communauté marocaine de Bruxelles le disaient juif. Belliraj a avoué avoir commis lui-même le meurtre à la police marocaine.
16 août 1988 : le tailleur homosexuel Marcel Bille est tué d’une balle dans la tête dans une forêt de Braine-le-Château. Belliraj, dans son interrogatoire du 16 février 2008, avoue avoir commis le meurtre tout seul.
29 décembre1988 : libération des deux premiers otages de Silco (Marie-Laure et Virginie, les filles de Fernand Houtekins et Jacqueline Valente)
14 février 1989 : l’ayatollah iranien Khomeiny émet une fatwa contre Salman Rushdie
29 mars 1989 : l’imam Abdallah Al Ahdal et son adjoint Salem Bahiri sont abattus dans le bureau du recteur de la Grande Mosquée de Bruxelles. L’attaque a été revendiquée par les Soldats du Droit. Belliraj lors de son interrogatoire par la police marocaine : « Al Ahdal avait critiqué la fatwa contre Salman Rushdie. Il a été visé à la demande de l’organisation d’Abou Nidal, avec comme intermédiaire Abou Ali le Palestinien, représentant de Nidal en Algérie ».
En avril 1989, Albert Raes, chef de la Sûreté de l’État, reçoit une haute décoration du gouvernement marocain.
7 juin 1989 : le ministre du Commerce extérieur Robert Urbain rend visite à Kadhafi à Tripoli et le 15 juin, Jan Cools est libéré.
20 juin 1989 : l’Égyptien Samir Jah al-Rasul, chauffeur de l’Ambassade saoudienne, est assassiné dans le hall de son appartement à Ixelles. L’attaque a été revendiquée par l’Organisation des peuples libres de la péninsule arabique, un autre nom d’emprunt du Fatah-CR.
3 octobre 1989 : le docteur Joseph Wybran, président du Comité de coordination des organisations juives, est abattu d’une balle dans la tête sur le parking de l’hôpital Erasme. Les Soldats du Droit ont revendiqué l’attentat.
La gendarmerie a été informée du rôle de Belliraj dans le trafic illégal d’armes, mais n’a pas trouvé de preuves tangibles.
Le 5 décembre 1989, Belliraj dépose une première demande d’obtention de la nationalité belge. Or, dans les années 1980 et 1990, la Sûreté de l’État a établi des rapports sur lui, en lien avec le commerce d’armes et d’explosifs. Le 17 décembre 1998, sa première demande de naturalisation est donc rejetée suite à l’avis explicitement négatif de la Sûreté de l’Etat.
11 décembre 1989 : le quotidien israélien The Jerusalem Post révèle que l’attentat contre le Docteur Joseph Wybran a été perpétré par le groupe Abou Nidal « de sources bien informées ».
10 avril 1990 : libération de trois autres otages de Silco (Fernand Houtekins, Jaqueline Valente et leur fille Sophie).
Novembre 1990 : quatre membres de la cellule bruxelloise de Belliraj reçoivent une formation paramilitaire dans un camp d’entraînement d’Abu Nidal au Liban.
12 janvier 1991 : Libération de Saïd Al Nasser en échange des derniers otages du Silco (Emmanuel Houtekins, Godelieve Kets et leurs enfants Laurent et Valérie). Walid Khaled, le négociateur d’Abou Nidal est repéré à Bruxelles, avec un visa valide, trois jours plus tard.
Fin janvier 1991 : Belliraj coupe tout contact avec le groupe Abu Nidal.
Le 13 novembre 1991, la gendarmerie reçoit une information anonyme liant Belliraj au meurtre d’Al Ahdal et de Bahiri. Quelques jours avant le meurtre, Belliraj aurait acheté deux pistolets 7,65 mm avec silencieux, selon l’informateur. Le 20 novembre un PV énumère les archives judiciaires dans lesquelles Belliraj est cité depuis 1986. Le 18 décembre, une perquisition du domicile de Belliraj à Molenbeek a suivi. La gendarmerie a saisi des documents en arabe mais n’a trouvé aucune arme.
POURSUITE DE SA « CARRIERE »
En 1992, Belliraj a participé à une « réunion secrète » à Tanger dans le cadre de son « projet djihadiste ». Cette année-là, il a été brièvement arrêté au Maroc dans le cadre de ses activités pour le Mouvement des Moujahidins au Maroc.
En 1993, Belliraj achète sept pistolets 9mm et des cartouches à des gitans yougoslaves en Belgique. Il a fait passer les armes en contrebande à Melilla. Toujours selon ses aveux à la police marocaine.
En 1994, Belliraj rencontre à Bruxelles un Algérien responsable de la logistique et des armes pour le Front Islamique du Salut. L’homme aurait informé Belliraj en 2000 qu’il voulait geler ses activités au sein du FIS, et qu’il voulait se débarrasser d’un stock d’armes qu’il possédait : pistolets, mitrailleuses et AK47. (Même source)
En 1998, Belliraj a créé sa propre entreprise de prêt-à-porter, d’appareils ménagers et d’autres produits.
En 1999, Belliraj a rencontré le fondateur du Groupe Islamique Combattant Marocain à Istanbul. Ils ont discuté du « travail des djihadistes » au Maroc.
LES ANNEES 2000 : gangster et informateur
17 avril 2000 : un commando de six personnes munies de mitrailleuses a dévalisé un dépôt de fonds de la société de sécurité Brink’s-Ziegler à Khelen au Grand-Duché de Luxembourg. Le butin s’élève à 17,5 millions d’euros. Abdellatif Bekhti a été condamné à 20 ans de prison au Luxembourg pour ce vol, mais il s’est évadé de prison en mars 2003.
Belliraj s’est rendu à une réunion en Turquie, où son contact a parlé de la nécessité d’un changement de régime au Maroc.
19 mai 2000 : Belliraj dépose une deuxième demande de naturalisation, au titre de la loi belge Quick, favorisant une procédure rapide.
6 juin 2000 : la Sûreté de l’Etat rend un avis négatif sur la demande de naturalisation de Belliraj
13 juin 2000 : la Sûreté de l’État rend un avis positif sur la demande de naturalisation de Belliraj. Aucune explication conséquente ne sera jamais fournie sur ces deux avis contradictoires, en une semaine de temps. Le 30 juin 2000, Belliraj obtient la nationalité belge.
En 2000, recrutement par les services de la Sûreté de l’Etat comme informateur : « Je confirme que j’ai été approché par les services de renseignement belges depuis 2000, qui m’ont demandé de travailler pour eux et de les aider dans certains dossiers – plus spécifiquement sur le terrorisme », a déclaré Belliraj lors de sa deuxième audition par le juge d’instruction marocain Chentoufi. « J’ai répondu que je les aiderais lorsque je découvrirais des choses sensibles qui menaceraient la sécurité de l’État. De temps en temps, je rencontrais un certain Patrick, un agent de la Sûreté. La coopération n’était pas destinée à être payée ».
26 mars 2001: arrestation d’Abdellatif Bekhti comme suspect dans le hold-up de Kehlen, peut-être suite à une information de Belliraj.
De fin août à début septembre 2001, selon ses déclarations, Belliraj s’est rendu en Afghanistan via le Pakistan, où il a séjourné pendant quinze jours. À Kandahar, il dit avoir rencontré Mohamed Attif, le bras droit d’Oussama Ben Laden. Il a demandé à Belliraj de trouver des personnes connaissant la chimie et la biologie, pour fabriquer des armes biologiques et chimiques. Attif a invité Belliraj à un dîner avec Oussama Ben Laden à Kandahar, auquel Al Zawahiri a participé. En Afghanistan, Belliraj a également rencontré le chef du GICM (Groupe Islamique Combattant Marocain).
15 janvier 2003 : Abdellatif Bekhti est condamné au Luxembourg à 20 ans de prison pour le braquage de la Brink’s à Kehlen.
12 mars 2003: Abdellatif Bekhti s’évade de la prison de Luxembourg avec l’aide de Belliraj et de membres de la pègre.
En 2004, Belliraj déménage à Evergem, à proximité de Gand. La même année, il fait un pèlerinage à La Mecque.
En 2005, Belliraj se rend à Damas, où il a eu des contacts concernant le recrutement de djihadistes pour la guerre en Irak.
Afin d’être en règle avec la caisse de chômage, il travaille quelque temps en 2006-2007 dans le snack AYA (Le Moulin d’Orient), rue Stalingrad à Bruxelles.
En janvier 2006 : le parquet rouvre l’enquête sur le meurtre de Joseph Wybran.
En octobre 2006 : Alain Winants devient Administrateur général de la Sûreté de l’État
En octobre 2007 : le service de renseignement marocain DGED aurait envoyé un dossier concernant Belliraj à la Sûreté de l’État belge.
DE L’ARRESTATION A LA CONDAMNATION AU MAROC
2008. Belliraj avait reçu de l’argent de Bekhti, provenant du hold up de la Brink’s, pour le blanchir. Après son évasion de prison, Bekhti a demandé à maintes reprises de récupérer la totalité de la somme. Afin d’en discuter, Belliraj s’est rendu à Marrakech en janvier 2008.
Début 2008, des rumeurs circulent dans la communauté marocaine de Gand selon lesquelles Belliraj avait « disparu » au Maroc. La Sûreté de l’État en a eu vent et a signalé aux Affaires étrangères qu' »un Belge avait des ennuis » à l’étranger. Selon Toufiq Idrissi, le troisième avocat marocain de Belliraj, son client a été enlevé par les services marocains le 18 janvier à Marrakech, alors qu’il sortait de l’hôtel Fashion de son frère Saleh et incarcéré à la prison de Temara, entre Rabat et Casablanca.
18 février 2008. Dans un communiqué de presse de la DGSN, le Maroc a annoncé officiellement qu’il avait démantelé un réseau terroriste djihadiste clandestin. Il aurait préparé des tentatives d’assassinat contre des ministres et des hauts fonctionnaires marocains, entre autres. Abdelkader Belliraj était le cerveau présumé du réseau. 32 personnes ont été arrêtées. Le Premier ministre marocain a interdit le parti Al Badil Al Hadari. Lors des perquisitions, des caches d’armes ont été découvertes à Casablanca et à Nador. Selon l’enquête de la police, le réseau finançait ses activités par des vols, le recel et des contributions, entre autres. Le vol de la Brinks au Luxembourg a été mentionné. L’argent aurait été investi dans des projets touristiques et immobiliers.
La police belge a été informée au sujet de Belliraj le jour des arrestations. La sécurité d’État a dû apprendre la nouvelle par la presse, selon ses propres dires, mais le Maroc a démenti.
Le 20 février 2008 : réunion du Conseil du renseignement et de la sécurité sur l’affaire Belliraj.
Entre le 16 février et le 17 mars 2008, Belliraj a été interrogé au Maroc, quatre fois par la police et deux fois par le juge d’instruction Chentoufi.
Le 26 février 2008, des enquêteurs du parquet fédéral ont perquisitionné le domicile de Belliraj à Evergem. Ils n’ont trouvé aucun élément incriminant.
Le 29 février 2008, VTM Nieuws et De Standaard ont annoncé en ligne que Belliraj était un informateur de la Sécurité d’État depuis des années.
15-16 avril 2008 : lors d’une visite au parquet de Gand, le Comité I (nommé pour enquêter sur les liens de la Sûreté avec Belliraj) constate que l’avis négatif de la Sûreté de l’Etat a disparu du dossier de naturalisation de Belliraj. Altercation virulente entre le Chef du Comité Guy Rapaille et Alain Winants à ce sujet.
Une délégation d’agents américains du FBI et de la CIA a enquêté sur le réseau terroriste de Belliraj au Maroc au début du mois de mars. L’un des objectifs était de comparer les échantillons d’ADN avec ceux des attentats d’Al-Qaïda. Le même mois, une délégation de six membres de la police fédérale au Maroc a participé à une visite de trois jours. Environ six mois plus tard (du 10 au 16 octobre 2008), une commission rogatoire belge s’est rendue au Maroc. Les enquêteurs sont revenus avec plus de questions que de réponses. Ils n’ont pas été autorisés à consulter ou à copier le dossier marocain, à analyser en détail les armes confisquées ou à les démonter, ils n’ont pas reçu de copie du passeport de Belliraj et n’ont pas non plus été autorisés à prendre ses empreintes digitales. Malgré le fait que la Belgique dispose d’un magistrat de liaison au Maroc, les enquêteurs sont rentrés bredouilles.
Le 8 juillet 2008, le directeur de la Sûreté, Alain Winants demande à Mohamed Yassine Mansouri, le chef de la DGED, de rappeler trois agents de Belgique. Winants : « Cette mesure n’était pas liée à l’affaire B. L’affaire B. a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase : nous avons établi qu’il y avait un refus flagrant de coopérer. Réaction brutale du Maroc : l’antenne de la DGED a été complètement fermée.
16 octobre 2008 : Belliraj et ses coaccusés comparaissent devant le tribunal de Rabat. Début du procès Belliraj. Les audiences ont été reportées à plusieurs reprises. Ce n’est que quatre mois plus tard que les auditions vont commencer.
Le 27 novembre 2008, onze personnes ont été interpellées en Belgique lors de douze perquisitions à domicile. Le Maroc a émis 17 mandats d’arrêt internationaux. Quatorze d’entre eux concernaient des personnes en Belgique, dont onze ont été arrêtées. Six d’entre elles ont témoigné des activités de grande envergure de la DGED en Belgique. Dans le cadre de l’affaire Belliraj, la DGED a soumis des listes de noms et de photos aux Marocains de Belgique et a mené des entretiens. Un seul suspect a été extradé vers le Maroc.
7 avril 2009 : Belliraj nie les meurtres lors du procès : « Les services de renseignement marocains, qui ont monté l’affaire de toutes pièces, doivent fournir des preuves de ce qu’ils avancent ».
Le 27 juillet 2009, Abdelkader Belliraj est condamné à la prison à vie par le tribunal de Salé. La justice marocaine a estimé qu’il était prouvé que le Belgo-marocain avait commis six meurtres, fait de la contrebande d’armes, blanchi de l’argent et était à la tête d’un réseau terroriste.
2010 : en Belgique, le rapport d’activité de la Sûreté de l’Etat pour l’année 2008 est mis en ligne. Il est écrit noir sur blanc que les éléments d’enquête avancés par la justice marocaine n’apportent aucune preuve de la culpabilité de Belliraj ni de l’existence d’un réseau terroriste responsable des six meurtres.
3 février 2010 : début du procès en appel contre Belliraj et ses co-accusés.
1er mars 2010 : Belliraj accorde une interview téléphonique depuis sa cellule à des journaux belges où il déclare avoir subi des tortures durant ses interrogatoires.
17 juillet 2010 : Belliraj perd en appel et est condamné à la réclusion à perpétuité par la Cour de Rabat Salé.
24 décembre 2020 : en Belgique, verdict de la prescription du meurtre de Joseph Wybran et du dossier terrorisme. Même si le parquet fédéral n’a pas obtenu le non-lieu dans ce dossier, réclamé depuis 2010, les parties civiles n’ont pas obtenu que justice soit rendue.
12 juillet 2022 : Belliraj bénéficie de la grâce royale. Mohammed VI réduit sa peine de la perpétuité à 25 ans de réclusion. Il devrait être libéré, au plus tard, en 2032. A noter que la plupart des co-accusés de Belliraj ont été graciés au fil des ans et que presque tous ont été libérés. Quant à ses complices en Belgique, ils n’ont jamais été inquiétés et vivent libres.