
L'assassinat
L'enquête
Dès les premières heures, l’enquête est malmenée : personne ne juge utile de sécuriser les lieux. Le parking rouvre le lendemain matin. On n’a jamais retrouvé la balle qui a tué Jo Wybran. Un article du quotidien La Dernière Heure, au surlendemain de l’assassinat, signé par le jeune journaliste Gilbert Dupont, fustige l’amateurisme qui prévaut à la conduite de l’enquête.
Un ambulancier témoigne anonymement avoir vu rôder trois individus suspects dans les parages quelques jours auparavant et déclare à la police avoir reconnu l’un d’eux, « l’homme à la barbe » dans le cortège funèbre de Joseph Wybran, en regardant le journal télévisé. « La photo ne sera jamais diffusée », se souvient Emmy Wybran, « les enquêteurs ne l’ont présentée qu’à moi seule. Je n’ai pu identifier cet homme. Ce n’était pas une connaissance. »
Témoignage de Jacques Brotchi, jamais recueilli par les enquêteurs
L’ombre d’Abou Nidal
Le jeudi 5 octobre, une mystérieuse organisation, Jund al-Haaq (les Soldats du Droit), revendique l’attentat depuis Beyrouth. Les services antiterroristes belges reconnaissent cette signature : Jund al-Haaq est l’un des nombreux noms d’emprunt utilisés par le Conseil révolutionnaire du Fatah, l’organisation d’Abou Nidal, le « Père de la lutte » en arabe. Ces « Soldats du Droit » se sont fait connaître pour la première fois le 18 décembre 1988, en revendiquant l’enlèvement du docteur belge Jan Cools au Liban, puis, plus tard, la prise d’otage de la famille franco-belge Houtekins-Kets. Le 31 mars 1989, l’organisation avait reconnu être responsable de l’assassinat d’Abdullah Al Adhal, l’imam de la Grande Mosquée de Bruxelles, et de son bibliothécaire. Avant cela, elle avait également commis une série d’autres actes anti-juifs – tel l’incendie d’un cercle juif à Copenhague – et des attentats en Thaïlande et au Pakistan, contre des diplomates saoudiens.
Le mode opératoire de l’assassinat de Joseph Wybran est sans équivoque : tous les spécialistes de l’anti-terrorisme sont unanimes pour conclure qu’il a été la victime d’un tueur entraîné et bien informé de l’emploi du temps du médecin. Les experts de la gendarmerie reconnaissent les traits propres à l’attentat terroriste international, incluant un soutien logistique pour permettre la fuite et fournir une planque à l’assassin. Une fois l’attaque qualifiée, les services de sécurité, de police, de gendarmerie et de renseignement se lancent dans l’enquête, chacun suivant sa voie, sans beaucoup de concertation.
Deux mois après l’assassinat, le lundi 11 décembre 1989, en Israël, Kenneth Kaplan, journaliste au Jerusalem Post révélait, selon « des sources bien informées » (le Mossad, NDLA) que le Docteur Wybran avait été assassiné par le groupe Abou Nidal, pour venger l’enlèvement de Cheikh Abdel Karim Obeid et perpétré sous la pression iranienne du Hezbollah, le « Parti de Dieu ». Selon le journaliste, les assassins appartiendraient à la cellule Abou el Eid, du nom d’un des combattants d’Abou Nidal, tué dans des affrontements entre Palestiniens, au Liban. Le Parquet fédéral d’une part, le Groupe interforces antiterroristes (GIA) d’autre part, surpris d’apprendre ces informations spectaculaires qui font d’Abou Nidal le premier suspect de l’assassinat de Jo Wybran par voie de presse, affirment ne pas négliger cette piste. Pour constater finalement que l’enquête n’a jamais pu donner un début de consistance à cette thèse.
Malgré les liens entre l’affaire de la Grande Mosquée et celle du docteur Wybran, qui procèdent d’un modus operandi identique et d’une balistique comparable, l’enquête autour de cette piste principale tourne rapidement en rond. Toutes les autres pistes sont alors envisagées – vengeance, crime passionnel, règlement de compte dans une affaire de vol de tableaux, et même l’éventualité que Wybran ait été un agent du Mossad … – mais elles sont tout aussi rapidement abandonnées. Les années passent et l’enquête stagne.
Dix-sept ans plus tard, en janvier 2006, un assistant-procureur, Bernard Michielsen, tente de relancer l’affaire en exhumant notamment le portrait-robot pour une recherche de témoins. Sans succès : le dossier retrouve sa place au placard…pour deux années encore.