
Engagements
CCOJB
En septembre 1988, Jo Wybran pose sa candidature à la présidence du CCOJB pour la succession de Markus Pardes, et entre en fonction dans les semaines qui suivent.
Au cours de l’année 1989, l’affaire du carmel d’Auschwitz atteint son plus haut niveau de tension. Le combat pour le départ des religieuses du site emblématique de la destruction des Juifs d’Europe mobilise les communautés juives de par le monde avec le soutien actif de très nombreux catholiques. En Belgique, le nouveau président du CCOJB, Jo Wybran, fut un acteur majeur de ce combat pour la mémoire des victimes de la Shoah, avec le soutien actif de toutes les associations membres et du Comité belge Auschwitz réunissant des personnalités juives et non-juives, qu’il présidait également.
L’AFFAIRE DU CARMEL D’AUSCHWITZ
Un bref rappel des faits.
En 1984, huit carmélites polonaises s’installent dans le « vieux théâtre », un bâtiment situé à l’intérieur du site d’Auschwitz, classé au patrimoine mondial de l’Unesco. Les nazis y stockaient le gaz Zyklon B, utilisé pour exterminer les déportés. Ce dépôt servait aussi à entreposer les restes monnayables des victimes. Dans leur carmel, les religieuses polonaises, voulaient prier pour la paix, en hommage à Edith Stein, la carmélite juive allemande morte à Auschwitz, béatifiée en 1987 puis canonisée en 1998 par le pape Jean-Paul II. Six autres sœurs se joignent bientôt à elles. Quand ce fait accompli est révélé, des personnalités juives mais aussi catholiques, comme Monseigneur Albert Decourtray, Primat des Gaules, s’indignent de cette « christianisation de la mémoire de la Shoah. » L’affaire du carmel d’Auschwitz vient de débuter et va durer près de dix ans. Elle provoquera la crise la plus grave dans l’histoire des relations entre les Juifs et l’Eglise catholique au XXème siècle.
Deux conférences ont lieu à Genève, en juillet 1986 (Genève 1) puis en février 1987 (Genève II), réunissant des personnalités juives et catholiques, dont les cardinaux Franciszek Macharski, archevêque de Cracovie, Albert Decourtray, évêque de Lyon, président de la délégation catholique des rencontres de Genève I et II, Jean-Marie Lustiger, archevêque de Paris, le grand rabbin René-Samuel Sirat, Théo Klein, président du CRIF, Godefried Danneels, archevêque de Malines-Bruxelles et Markus Pardes, président du CCOJB, la présidente de l’Union des communautés juives d’Italie, Tullia Zevi. En juillet 1986, dans une déclaration commune intitulée Zakhor, souviens-toi !, ces participants rappellent qu’Auschwitz-Birkenau est le lieu symbolique de la Shoah. Ils suggèrent que les religieuses emménagent dans un centre d’information et de prière qui sera construit à l’extérieur du camp. La deuxième conférence de Genève, le 22 février 1987, va plus loin et des accords sont scellés, fixant la date butoir du 22 février 1989 pour l’évacuation du « vieux théâtre » et le déplacement du couvent. Le 9 mars 1989, Genève II est explicitement approuvé par la conférence des évêques de Pologne. Toutefois, le cardinal Jozef Glemp, Primat de Pologne s’oppose depuis de début de la crise au départ des carmélites, lesquelles refusent de quitter les lieux. En 1988, elles érigent dans la cour, à proximité du Block 11, une croix de 7 mètres de haut datant de la première visite du pape Jean-Paul II en Pologne en 1979. De plus, elles sous-louent le terrain, propriété de la municipalité d’Oswiecim (Auschwitz), à une association qui engage diverses procédures afin de maintenir la croix en place et ne quittera les lieux qu’en 1998.
Officiellement, le Vatican n’a pris aucune part dans les négociations entre les tenants des accords de Genève et l’Eglise polonaise, mais le pape s’est montré favorable au maintien du carmel.
On en est là lorsque l’échéance du 22 février 1989 arrive à son terme et que rien n’a changé au prétexte qu’il n’y aurait pas encore de solution à une relocalisation acceptable et acceptée des carmélites.
LES INTERVENTIONS DE JO WYBRAN
Le voyage en Pologne.
Joseph Wybran entreprend un voyage en Pologne du 10 au 14 avril 1989, pour donner une série de conférences à l’Académie de médecine de Cracovie.
Une fois sur place, il profite de l’occasion pour demander une audience au cardinal Macharski – co-signataire des accords de Genève mais devenu l’artisan actif de la ligne du refus, dans les pas de Jozef Glemp. En l’absence du cardinal, il obtient un entretien avec le Vicaire général de Cracovie, lequel reste très évasif quant à la date du départ des religieuses pas plus qu’il ne veut aider Jo Wybran à obtenir un rendez-vous auprès des carmélites.
C’était compter sans la volonté et la ténacité du président du CCOJB qui va réussir à forcer leur porte et s’entretenir avec la Mère supérieure du couvent. Cela juste après sa visite des camps d’Auschwitz -Birkenau qu’il évoque en quelques mots : « Première visite pour moi de ce camp de la mort. Beaucoup d’émotions. Difficile à supporter. » Dans le rapport sur sa venue en Pologne à l’attention du bureau du CCOJB, il énonce les points saillants de l’échange avec la religieuse qui s’avère être une redoutable interlocutrice et ses propres conclusions, pleines de sagesse et de modération, fidèle reflet de sa détermination ferme et pondérée. (lire l’intégralité de ce document important ci-dessus).
La montée des tensions
Les accords de Genève II stipulaient qu’à partir du 22 février 1989 « il n’y aurait plus de lieu de culte catholique permanent dans l’ensemble du camp d’Auschwitz-Birkenau ». La mauvaise volonté mise à résoudre la question, tant de la part des carmélites, de l’Eglise polonaise que des autorités communistes – chacun se renvoyant la responsabilité d’un immobilisme bien ancré, attise la colère de la jeunesse juive, partout dans le monde. A l’été, plusieurs manifestations sont organisées devant le couvent : mi-juillet, une dizaine de Juifs américains protestants contre le non-respect des accords est violemment attaquée par des ouvriers polonais travaillant dans l’enceinte du couvent, avec l’aide d’habitants de la ville. Le 22 juillet, à l’expiration d’un sursis accordé pour 5 mois, les carmélites réitèrent leur refus de quitter les lieux. Fin juillet, à l’initiative de Bernard Suscheki, un groupe de jeunes belges, membres de l’Union des Etudiants Juifs de Belgique manifeste à son tour sur place. En août, déplorant ces troubles présentés comme une agression contre l’Eglise catholique, le cardinal Macharski annonce la rupture des accords de Genève II concernant l’édification du centre judéo-chrétien prévu sur le site. Son communiqué est largement repris par Radio Vatican :
Le clergé polonais fait savoir que le nouveau couvent, en bordure du camp, ne sera terminé au mieux … que dans huit ans. Et Mgr Glemp déclare vouloir renégocier le texte rédigé à Genève « par un groupe d’hommes incompétents ». Le 26 août, dans une homélie où il fustige les manifestants juifs, le primat de Pologne tient des propos antisémites virulents qui soulèvent un tollé général. « Chers juifs, ne nous parlez pas comme une nation au-dessus des autres et ne nous dictez pas des devoirs impossibles à remplir. Les actions menées contre les carmélites d’Auschwitz choquent les Polonais et violent notre souveraineté acquise si douloureusement. Vous avez le pouvoir des mass media à votre entière disposition dans de nombreux pays. Ne les laissez pas véhiculer l’antipolonisme. »
Les manifestations à Bruxelles devant l’Ambassade de Pologne et devant la Nonciature
En réaction, Jo Wybran adresse le 28 août un communiqué de presse, au nom du CCOJB, enjoignant le Primat de Pologne à revenir sur ses propos.
Il organise une première manifestation, le 5 septembre 1989, devant l’Ambassade de Pologne, à Bruxelles dans ce contexte chargé, afin de faire pression sur les dirigeants polonais qui rechignent à prendre leurs responsabilités. Son discours ferme s’adresse au Président Jaruzelski et au Premier ministre Mazowiecki afin qu’ils condamnent les déclarations du cardinal Glemp et toute forme de résurgence de l’antisémitisme en Pologne. Il dénonce la volte-face du cardinal Macharski et les propos de Mgr Glemp.
Jo Wybran organise une deuxième manifestation deux semaines plus tard, le 20 septembre, cette fois devant la Nonciature apostolique pour faire pression sur l’Eglise polonaise afin qu’elle condamne les propos de Mgr Glemp et s’engage à activer le départ des carmélites. Il adresse un courrier à Mgr Moretti, Nonce apostolique, dont la teneur est à lire ci-dessus.
Viviane Teitelbaum, alors rédactrice en chef du magazine REGARDS et membre du bureau du CCOJB, se souvient de ce moment unique de l’histoire de la communauté juive de Belgique.
Viviane Teitelbaum prête sa voix pour nous transmettre le dernier discours prononcé par Jo Wybran dans l’Affaire du carmel d’Auschwitz, le 20 septembre 1989, moins de 15 jours avant son assassinat par la cellule terroriste à la solde d’Abu Nidal.
Epilogue de l’affaire
Il faudra attendre l’année 1993 pour que les religieuses acceptent enfin de déménager dans un endroit à proximité.
En 1998, cependant, des Polonais qui sous-louaient une partie du terrain occupé par les sœurs ajoutent entre 150 et 300 nouvelles croix sur les lieux. Elles seront retirées en 1999.
La grande croix de 7 mètres est toujours en place. (photo prise par Jo Wybran le 13 avril 1989)